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Nostradamo : le chanteur prophète Imprimer Envoyer
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[Article initialement paru dans la Newsletter n°61 de l'Observatoire Zététique]


Saviez-vous que le célèbre chanteur Adamo avait écrit une chanson-prophétie ? En voici la preuve...

Cher ami lecteur, sache tout d’abord que j’ai passé ces dernières semaines à lire Ronsard, Proust, Zola et autres auteurs illustres de la Littérature Française. Impressionnant hein ? Oui, mais archi faux et honte à moi : j’ai regardé la télé. Je suis accroc ! Je zappe et je mâte comme dirais l’autre. Du coup, je connais les pubs par cœur, les animateurs sont mes maîtres à penser et les émissions de « téléréalité » mes références culturelles. Bref, je bulle toute la journée devant le rectangle. Quant aux livres et auteurs français, j’adore Télé Loisirs.


Je dois pourtant dire qu’on y entend beaucoup de choses navrantes, de raccourcis, d’amalgames, de reportages truqués et autres magazines bidons. Mais parfois, ô miracle, on peut y trouver la révélation. C’est ainsi que, mon cerveau déconnecté par plusieurs minutes de pseudo-informations, j’entends ce jour parler d’Adamo. Oui, le chanteur né en Italie, au brushing impeccable et que les nénettes (d’il y a 50 ans) adulaient [1]. En fait, j’entends parler de sa chanson (que tu connais évidemment) : « Les gratte-ciel » (1968). Et que dis cette chanson ? Que notre franco-wallon est un devin. Sisi, vrai de vrai. Je dirais même un prophète, car sa rengaine n’est rien d’autre qu’une prophétie. Tu vas rire : Adamo, le nouveau Nostradamus. Ahah. Sauf que ce futurologue là écrit dans une langue que tout le monde peut lire et comprendre. Pas comme les quatrains de Michel de Nostre-Dame, illisibles pour le quidam et interprétables à souhait. Nononon, je te parle là d’un vrai texte, clair et limpide quant à sa signification, sans ambiguïté. Tu n’as qu’à lire ces extraits :

« C’est la plus sombre histoire depuis Caïn gravée dans la mémoire d’Américain »


Alors, à quoi penses-tu ? Allez, un autre :

« Un jour, deux gratte-ciel, ne sachant pas que faire, un jour, deux gratte-ciel ont joué à la guerre »


Bon, c’est clair là ! Nine eleven, New York… le 11/09/2001 ! Tu dois certainement te dire qu’il s’agit là d’un extrait, voire même que je t’ai influencé. Eh bien, voici la suite :

« Il y eut la mort, il y eut la gloire Il y eut le plus fort, il y eut la victoire Il y eut le moment suprême et démentiel Il y eut le moment où l’on défie le ciel »

Encore un doute ? Alors pour lever définitivement toute ambiguïté :

« Alors, les gratte-ciel se sont faits tout petits Alors les gratte-ciel ont sorti leur whisky Et ils ont tant bu qu’ils ont tout oublié Et ils ont tant bu qu’ils se sont écroulés »


Et pour achever toute résistance de ton esprit borné et sceptique, voici la fin de la prophétie :

« Les gratte-ciel grattent le sol, ça sent le miel, ça sent l’alcool, les gratte-ciel crachent leur sang, crachent leur fiel, crachent leurs dents, crachent leur or et leur argent, le sang des morts et des vivants. Les gratte-ciel crachent leurs corps, les gratte-ciel sont ivres morts. Alors, ils ont vu la couleur de la gloire. Alors, ils ont su le secret des victoires. Alors, ils ont vu le soleil du néant. Alors, ils ont vu comme un grand trou béant. Et ils se sont pendus. Yè yè yè yèyè yèèèè »


Intrigant non ? Surtout les yè yé…

Un doute sur ce texte peut-être ? Pourtant, il a bien été écrit il y a plus de 40 ans ! Adamo est-il le descendant de Michel de Nostre-Dame [2] ? A-t-il un don de voyant ?

Raisonnablement, non. En tout cas, s’il est impossible de prouver que ces lignes ne sont pas des prémonitions, on peut quand même réfléchir quelques minutes. Un peu comme pour Nostradamus, interpréter un texte à la lumière des événements actuels revient à mettre la charrue avant les bœufs, voire même avant d’avoir une charrue : à l’époque, Adamo ou d ‘autres ont-t-ils annoncé que cette chanson était une prophétie ? Je n’en ai trouvé trace nulle part. Donc première chose, il n’est pas anormal de retrouver dans les centaines de milliers de paroles écrites dans le passé (celles d’Adamo ou d’un autre) un texte évoquant un événement quelconque. C’est le contraire qui serait anormal.


Et puis, aussi évident que paraisse la prédiction donnée par cette chanson, il faut d’abord l’examiner dans son contexte, et en entier pour commencer… Ainsi, certains passages n’évoquent rien en rapport avec le 11 septembre :

« Ils ont joué si bien qu’ils oublièrent de rire Ils ont joué si bien qu’on aurait bien pu dire Qu’il ne leur manquait plus que l’un d’eux soit noir de peau Le jaune étant exclu, c’eût été bien trop beau »

À moins d’en chercher une signification cachée bien entendu. Mais alors, on tombe une nouvelle fois dans l’interprétation abusive et les explications ad hoc.


Ensuite, à aucun moment n’est évoqué le lieu (New York ?), le nom (WTC ?) ou une date (11/09/01 ?). Et puis, des gratte-ciel aux Etats-Unis, il y en a un bon paquet… Cette remarque m’amène à une autre, plus générale, concernant les coïncidences : imaginons que vous parlez à votre voisin dans le train. Vous souviendrez-vous qu’il n’était pas du tout né le même jour, ni au même endroit, qu’il n’avait pas le même âge, qu’il était brun et vous blond, qu’il avait des poils sur le torse et pas vous, qu’il était banquier et pas vous, qu’il avait une femme et deux enfants et pas vous, qu’il aimait le foot et pas vous, etc. Non. Tout ceci, vous l’oublierez bien vite. Par contre, en descendant, vous raconterez avec enthousiasme que votre camarade de voyage portait le même prénom et le même signe astrologique que vous : coïncidence extraordinaire n’est-ce pas !


Faire une liste des points communs entre deux individus est souvent très impressionnant : on trouve tout un tas de choses. Mais il est rare de faire la liste complémentaire, à savoir celle de leurs différences ! Liste, beaucoup, beaucoup plus longue, c’est certain… Mais revenons au texte. Pourquoi cette chanson évoque-t-elle à coup sûr les attentats du World Trade Center ? Il faut chercher du côté de notre fonctionnement interne : notre cerveau est ainsi fait qu’il tente par tous les moyens de trouver du sens à ce qu’il perçoit : un tache d’humidité devient Lénine ou Jésus, des trous dans une tartine et c’est le diable en personne qui s’invite à votre petit déjeuner, un allemand qui chante en anglais et c’est un magnifique slow qui est alors troublé par une phrase étrange : « ce soir, j’ai les pieds qui puent [3] », etc.


Bref, en lisant le texte de Salvatore, que fait votre cerveau justement : il donne du sens, il relie, il connecte. Et quoi de plus significatif que l’évocation de « deux gratte-ciel qui ont joué à la guerre » ? Immédiatement, nous y relions les événements tragiques du 11/09. C’est automatique ! Et là, tout s’enchaîne : « mort », « ciel », « écroulés », « sang », « argent », « crachent leurs corps », « trou béant ». Le champ lexical de ce texte crée en nous un lien direct avec le réseau sémantique des événements de New York : des mots comme « attentat », « avion » ou encore « catastrophe » sont activés [4] par ces paroles. Un peu comme si je vous dis « outil », je suis quasi sûr que vous pensez à marteau…


Peut-être trouverions-nous d’autres drames, autre que celui du 11 septembre, en fouillant un peu ? C’est peu probable : le flot d’images et de rappels qui sont faits depuis 9 ans dans tous les médias a rempli notre cerveau qui, dès lors, fait bien son travail en nous y renvoyant mécaniquement. C’est en quelque sorte le principe des horoscopes et de l’effet Forer/Barnum/puits [5] (selon votre gout) : à la lecture d’une phrase ou d’un mot, celui-ci active un réseau sémantique en général vaste. En fonction de votre état psychologique du moment, et compte-tenu de la variété des situations auxquelles est rattaché le mot en question, votre cerveau va trouver sans aucun problème l’événement dont parle le texte. Par exemple, si je vous dis « Une personne proche est dans une situation qui vous inquiète » à quoi pensez-vous immédiatement ? Moi, je pense à ma tante qui a perdu son chat et qui, vivant seule, est très triste et broie du noir depuis. Vous, ce sera le divorce de votre sœur, le chômage de votre meilleur ami, les examens de votre fille, etc. « Personne proche » active à coup sûr les mots « famille » et « amis », et tout s’enchaîne ! Cette forme de validation subjective nous amène à sur-interpréter et, de fait, à trouver significatives les descriptions que nous lisons et qui nous concernent.


Alors, Adamo ou Nostradamo ? Le mystère reste entier… Non, je ne terminerai pas par un effet Bof [6] tout moisi. Non, je m’engage et déplace mon curseur de vraisemblance du côté d’une fausse coïncidence, mêlée à une vraie capacité de notre cerveau à construire des liens, saupoudrée d’une validation subjective maximale. Mais pour être tout à fait complet, on pourrait légitimement se poser la question suivante : « Si ce n’est pas une prémonition, de quoi/qui parlait Adamo dans cette chanson ? ». A vrai dire, je viens de passer au moins deux heures à chercher des infos sur sa carrière et cette chanson. Je n’ai rien trouvé et pour être franc, j’en ai un peu marre. Donc, je finis sur cette idée que, les deux tours ayant été construites pendant qu’Adamo écrivait sa chanson, il s’en inspira tout en imaginant que cette envie frénétique de pouvoir, d’argent et de démesure était malsaine. Ou bien alors c’est une métaphore entre un gratte-ciel et un être humain… ou peut-être que ça ne veut rien dire.


Ouais, je sais, je ferais mieux de lire Mallarmé et Baudelaire aux prochaines vacances, ça m’évitera d’entendre des bêtises à la télé…

DC




[1] Ne te moque pas, il aurait vendu plus de 100 millions d’albums dans le monde…Les japonaises en sont folles !

[2] Pour tout dire, il est vraiment amusant de remarquer la correspondance entre les noms NostrADAMUS et ADAMO. Encore une vilaine coïncidence qui devrait semer le trouble ? En fait, si l’on considère son vrai nom (Nostre-Dame), la ressemblance avec le patronyme du chanteur disparait…

[3] Still Loving You, Scorpion (1984). On y verra Klaus Meine prononcer “So strong, that I can’t get through” vers 2min25. Mais dorénavant, vous entendrez “Ce soir, j’ai les pieds qui puent” ! Une belle pareidolie auditive…

[4] On parle d’activation lorsque l’on facilite l’accès à un objet du réseau sémantique. Voir Peter Brugger, Le cerveau ésotérique, dans la revue Science et pseudosciences n°284 (avril 2009), p.44.

[5] http://www.sceptiques.qc.ca/dictionnaire/forer.html

[6] Voir l’excellent article de R. Monvoisin sur cet effet : http://www.les-renseignements-genereux.org/fichiers/10695

 


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